Laurent LARRETGÈRE, 2017 ; corrigé en mai 2019.
Mise à jour de décembre 2021
J'ai parfois hésité à inclure la famille de Louis Léon Edmond MURAT, mon arrière grand-père maternel, père d'André MURAT né BROUET, dont ma mère est l'avant dernier enfant, dans mes recherches généalogiques. Pourquoi ? Tout simplement parce que Louis MURAT n'est sans doute pas le père génétique d'André qu'il a reconnu en 1914. Cependant, la filiation génétique est-elle si importante que cela ? Officiellement, depuis sa reconnaissance puis sa légitimation, André MURAT, mon grand-père, est le fils de Louis MURAT.
Extrait de l'acte de naissance d'André BROUET du 29 décembre 1905. Source : Archives Bordeaux Métropole, registre des actes de naissances de Bordeaux, section 3, 1905, cote 1 E 396.
Transcription :
"André Brouet a été reconnu en cette mairie le vingt et un
août mil neuf cent quatorze (2.704 bis) par Louis Murat
Le conseiller municipal délégué"
Le 2.704 bis signifie que l'acte de reconnaissance est dans l'état civil des naissances de Bordeaux à la section 2 et l'acte porte le numéro 704bis.
C'est le 21 août 1914 que Louis MURAT reconnait André BROUET comme son fils, André qui est né en 1905. Louis MURAT est visiblement en couple avec Noélie BROUET, la mère d'André, mais ils ne sont pas mariés. Reconnait-il ici son propre enfant, conçu 9 ans plus tôt ? Reconnait-il l'enfant de Noélie pour faire plaisir à cette dernière ? En l'état actuel de mes recherches, je ne peux pas répondre à ces questions. Et il me semble d'ailleurs difficile de trouver les réponses un jour, si longtemps après les faits. Cependant, il est très improbable qu'André soit le fils de Louis MURAT. Du 22 octobre 1904 au 4 décembre 1906, il était soldat au 18e régiment d'infanterie coloniale et à priori stationné au Tonkin (une des composantes de l'Indochine).
Louis MURAT se marie avec Noélie BROUET le 20 juillet 1915 à Bordeaux, ville où ils sont nés tous les deux, elle en 1887 et lui en 1883. Il a 32 ans et elle en a 27. Ce mariage légitime André, leur fils depuis sa reconnaissance par Louis en 1914.
Extrait de l'acte de mariage de Louis Edmond MURAT et Noélie BROUET du 20 juillet 1915. Source : Archives Bordeaux Métropole, registre des actes de mariages de Bordeaux, section 2, 1915, cote 2 E 411.
L'acte de mariage ne nous apprend pas tant de choses que cela. Les témoins ne sont pas des membres de la famille de Louis ni de celle de Noélie. Il s'agit de deux tailleurs et de deux agriculteurs. Louis n'a pas d'emploi au moment de son mariage (on verra plus loin qu'il vient de se faire réformer) et Noélie vit avec sa mère, Marie BROUET, alors âgée de 65 ans, et avec Louis MURAT au 21 rue de Lavaud, dans le quartier de la gare. Elle exerce la profession de caissière, c'est-à-dire qu'elle fabrique des caisses.
Le père de Louis, Étienne MURAT, est décédé mais sa mère, Marie LAURENT, vit toujours, dans la commune de Laguenne en Corrèze.
Source : Gallica / BNF. Plan pratique de Bordeaux de 1918 édité par G. Delmas.
Louis MURAT et Noélie Brouet vivaient ensemble avant leur mariage au 21 rue de Lavaud (1) ; plus tôt, ils ont vécu à des périodes proches rue Mazagran (2), en 1907 pour Louis MURAT, en 1905 pour Noélie BROUET. Depuis quand se connaissaient-ils ? Mystère. Mais ils ont vécu tous les deux dans le quartier de la gare.
Ma mère n'a jamais connu son grand-père MURAT qui est mort le 31 janvier 1922, à l'âge de 38 ans. Noélie se retrouve seule à 33 ans avec deux enfants, André, né en 1905 et Roger, né en 1919. André a 16 ans et, pour Roger, bientôt 3 ans. Quatre ans plus tard, André, mon grand-père, cimentier, part au service militaire tout en devenant père d'un enfant naturel, prénommé André Guy, qu'il a eu avec une jeune femme de 17 ans, Yvonne GOURDON.
Je ne connais rien de la vie de Louis MURAT enfant en dehors de sa naissance le 26 mars 1883 au domicile de ses parents. Son père, Étienne MURAT, âgé de 44 ans, déclare la naissance. Il est limeur. Avec son épouse, Marie LAURENT, âgé de 37 ans, sans profession, il vit rue du Rocher, au numéro 40. Mais il n'y vivait pas en 1881 si j'en crois le recensement du 3e canton, vol. 2. Depuis quand on-t-il quitté Laguenne pour Bordeaux ? Je l'ignore pour l'instant.
Acte de naissance de Louis MURAT
Source : Archives Bordeaux Métropole
Faisons un saut dans le temps jusqu'en 1901 puisque je n'ai pas d'informations entre cette date et la naissance de Louis en 1883.
Comme on le voit avec l'extrait de recensement ci-dessous, Louis MURAT vit à Bordeaux avec sa mère, veuve, et une de ses sœurs. Et comme souvent
avec les recensements qui se fondent sur des éléments déclarées par les personnes interrogées, les informations contiennent des erreurs. Sont-ce des problèmes de retranscriptions, de
méconnaissances par les interrogées des détails de leur propres parcours et en particuliers de la date de leur naissance ? Difficile de trancher. Voyons l'extrait qui concerne
Louis et sa famille.
Comme toujours, cliquez sur l'image pour l'afficher dans sa taille d'origine.
Extrait du recensement de Bordeaux pour l'année 1901
Sources : Archives Bordeaux Métropole
Marie MURAT, c'est Marie LAURENT, qui a épousé Étienne MURAT en 1868. Elle a eu au moins six enfants avec lui d'après mes recherches. Louis est le dernier enfant du couple. Il est bien né en 1883 à Bordeaux comme l'indique le recensement. Le parcours de la famille est un peu flou. Entre 1868 et 1875, ils ont cinq enfants, tous nés à Laguenne en Corrèze :
- Barthélémy (1869-1871)
- Marie (1870-1949)
- Henriette (1872-1873)
- Louise (1874-?)
- Marie (1875-1876)
Après le décès de Marie en 1876, je ne sais pas trop ce que devient le couple et leurs enfants survivant, à savoir Marie et Louise. Je ne retrouve leur trace qu'en 1883, donc, au moment de la naissance de Louis Léon Edmond le 25 mars 1883. On peut remarquer que sa date de naissance dans le recensement est erronée : il est déclaré naître le 5 janvier 1883 alors qu'il est né le 25 mars. Autre erreur, la localisation de Laguenne dans le département de la Dordogne alors que Laguenne est en Corrèze. Il vit donc avec sa mère, Marie LAURENT épouse puis veuve MURAT.
En effet, Etienne MURAT est mort en 1889 à Laguenne. Pourquoi Laguenne ? Je ne sais pas... Louis nait à Bordeaux en 1883 et il y
vit avec sa mère et une sœur en 1901. La famille est-elle repartie à Laguenne avant la mort d’Étienne. Sont-ils ensuite retourné à Bordeaux. Étienne est-il parti
mourir seul à Laguenne ? Autant de questions auxquelles je n'ai pas, pour l'instant, de réponse certaine. Mais il me semble qu'il doit y avoir une histoire de séparation... J'en parle d'en
la page consacrée à Étienne MURAT et Marie LAURENT.
Autre interrogation : qui est Henriette ? La sœur de Louis prénommée Henriette, née en 1872, est morte en 1873.
Celle mentionnée par le recensement est, en théorie, née en 1878. Mais je n'ai pas trouvé de naissance d'une Henriette MURAT à Laguenne en 1878. S'agit-il d'une sœur que je n'ai
pas encore identifiée ? C'est possible. D'autant qu'on donnait parfois le nom d'un enfant défunt au suivant du même sexe. Cependant, un autre acte me permet d'identifier cette sœur. En 1902, une
petite Anna MURAT naît à Bordeaux. Elle est déclarée par une sage-femme qui la dit fille d'Henriette MURAT et de père non nommé. Cette même Henriette
MURAT reconnait l'enfant quelques semaines plus tard mais déclare se prénommer Louise, bien qu'elle signe Henriette. Cette même Louise
se marie avec Auguste FOIN, toujours en 1902. Auguste FOIN reconnait l'enfant. Et la mariée est Louise MURAT, née à Laguenne en 1874. Qui se
fait appeler Henriette. Le recensement, qui est, comme je le rappelle, fondé sur les déclarations des interrogés, contenait donc une double erreur, sur le prénom (qui n'est pas
celui de l'état civil mais celui utilisait par Louise et sa famille) et sur la date de naissance, ce qui est assez courant au XIXe siècle.
En 1901, Louis à 18 ans, il est journalier et sa sœur qui en 23, est marchande ambulante. Ils habitent rue Lafontaine, une rue qui se situe en face du marché des Capucins, dans le "triangle espagnol" de Bordeaux, surnommé ainsi en raison de la forte présence espagnole du quartier. Mais on y retrouve également de nombreux migrants intérieurs, issus de l'exode rural ou simplement des artisans de départements proches qui cherchent du travail dans la métropole régionale.
On retrouve Louis MURAT 18 ans plus tard quand il s'engage dans l'armée. Son degré d'instruction est de 3 (sur une échelle de 0 à 5). Il sait lire, écrire et a reçu une instruction primaire. Il mesure 1,68 m, ce qui est plus que la moyenne de l'époque. Il a les cheveux noirs, les yeux châtains foncés, un nez fort, un front court, un visage ovale, une bouche moyenne et un menton rond. Il est déclaré manœuvre.
Détail de la fiche matricule de Louis MURAT.
Source : Archives départementales de Gironde.
Il passe quatre ans au 1er régiment des tirailleurs algériens, de 1901 à 1904 puis rempile pour deux ans dans un régiment d'infanterie coloniale, principalement au 18ème de 1904 à 1906, et le 7ème de décembre 1906 à octobre 1907. De 1904 à 1907, il est dans le Tonkin ("Tonkin en guerre" précise sa fiche matricule), en Indochine. Il reste soldat 2e classe tout au long de son engagement. Il est libéré avec un certificat de bonne conduite.
Détail de la fiche matricule de Louis Murat. Source : Archives départementales de Gironde.
En août 1914, juste après avoir reconnu André (mon grand-père) le fils de sa compagne Noélie BROUET, Louis MURAT part rejoindre le 7ème régiment d'infanterie coloniale à la suite de la mobilisation générale. Mais il est réformé assez rapidement (en octobre 1915) pour "pleurésie gauche, adhérences pleurales, antécédents héréditaires tuberculoses".
C'est par sa fiche matricule que j'ai eu connaissance d'une condamnation par le tribunal correctionnel de Bordeaux le 25 novembre 1916 à 30 francs d'amende pour "infraction aux lois de la police des tramways". Une petite recherche aux Archives départementales de Gironde m'a permis de retrouver le détail de la condamnation.
Première bizarrerie, il est cité comme étant un manœuvre de 33 ans, habitant au n°9 de la rue Kleber, marié et père de deux enfants. Or, s'il a reconnu mon grand-père André en 1914, le seul autre enfant dont j'ai connaissance, Roger, ne nait qu'en 1919. Est-ce une erreur du tribunal ou existe-t-il un troisième enfant ? Mes recherches n'ont pour l'instant rien donné. Aucun MURAT né à Bordeaux entre 1903 et 1916 n'a Louis MURAT pour père (j'avoue ne pas avoir recherché dans le registre des naissances de la section 1 de 1914 car la table du registre s'arrête au "b" et je n'ai pas eu le courage pour l’instant, ni le temps d'ailleurs, de parcourir les 300 pages du registre).
Mais revenons à ses démêlés avec la justice. Qu'a-t-il donc fait pour être condamné à cette amende ? Je vous laisse le découvrir en lisant l'extrait de la minute du tribunal correctionnel :
Source : Archives départementales de Gironde.
Donc Louis MURAT trouble l'ordre public et injurie le chauffeur dont on ne peut que remarquer le nom qui semble d'origine asiatique (Asie de l'est) : Li A Chang. Comme nous sommes en France, il doit s'agir d'un ressortissant d'Indochine. Les colonies françaises ont été mises à contribution lors du premier conflit mondial. Les troupes d'Afrique subsahariennes, les "tirailleurs sénégalais" et les soldats d'Afrique du Nord étaient au front. Mais le plus souvent, les Indochinois, n'étaient pas perçus comme de bons combattants, par préjugé et racisme ; ils étaient essentiellement utilisés comme main d’œuvre. C'est peut-être le cas pour ce chauffeur de tramways. Pourquoi Louis MURAT l'insulte-t-il ce 4 juillet 1916 ? Difficile de le savoir. On peut juste rappeler que Louis MURAT a été soldat en Indochine, dans le Tonkin, et peut-être n'appréciait-il guère les habitants de cette région... Mais ce ne sont que des conjectures.
Pour en savoir plus sur les Indochinois mobilisés pendant la guerre de 1914-1918, je vous renvoie à cette page de l'excellent site de L'Histoire par l'image : Les Annamites dans la Grande Guerre.