Pierre LARRETGÈRE, classe 1956, matricule 56-330-04862

Rédigé en janvier 2020 par Laurent LARRETGÈRE

Propos liminaire

Mon objectif, ici, n'est nullement de faire l'histoire de la Guerre d'Algérie. D'abord car je n'en ai pas réellement l'envie et encore moins les compétences. Certes, j'ai une maîtrise d'histoire, un Master de métiers des archives, plus de 20 ans d'expérience comme enseignant certifié dans le secondaire (essentiellement en lycée) ; cela ne fait pas de moi, loin de là, un spécialiste du sujet. J'ai enseigné la Guerre d'Algérie, certes, mais dans ses grandes lignes. Par ailleurs, ce n'est pas mon propos.

Je souhaite juste évoquer l'expérience de mon père, d'abord à travers son témoignage, ses souvenirs, ses photos, que je replace, quand il me semble que c'est nécessaire, dans un contexte plus large. 

Je vais être amené, parfois, à citer d'autres témoignages publiés, en tant que sources. Cela ne signifie pas que je cautionne le propos de l'auteur du livre d'où j'extrais la citation. 

1. Un appelé du contingent en 1956

Mon père, Pierre LARRETGÈRE, entre 1956 et 1958, en Algérie. Il a donc entre 20 et 22 ans. Il porte un uniforme camouflage. avec béret. Mon père n'appartenait pas à une unité opérationnelle et n'aurait pas du bénéficier de cet uniforme. Mais il était plus à sa taille que son uniforme kaki et ses officiers n'ont rien trouvé à redire. 

L'uniforme semble être la tenue de parachutiste modèle TAP 47 (veste et pantalon de saut), avec un camouflage surnommé "léopard" (bien que n'ayant aucun rapport avec la robe de l'animal). La photo, en noir et blanc, rend plus difficile l'identification de ses effets. Le pantalon modèle 47/52 était muni de poches sur le devant de la cuisse. Ces éléments étant absents de la tenue de la photo, je pense que mon père porte le modèle 47/56.

Les bottes de saut sont, à priori, un modèle 50 ou peut-être un modèle 53. Le ceinturon est un modèle TAP 50 (et pas le modèle "foyer" car si on observe bien, les passants en métal ne sont pas plats comme sur le modèle "foyer").

Son béret était rouge. L'insigne est porté à droite dans l'armée française.

Petite précision : TAP signifie "troupes aéroportées" car il existe des uniformes TTA (troupes toutes armes).

Un grand merci aux membres du forum Passion Militaria qui m'ont fourni les informations ci-dessus.

1.2. Le commencement : le conseil de révision

Convocation au conseil de révision.

Le conseil de révision tel que je vais le décrire ci-dessous a existé jusqu'au milieu des années 1960 ; en 1965, il perd sa préséance au profit des centres de sélection purement militaire  avant de disparaître définitivement en 1970 : désormais, les "trois jours" (qui durent en fait, au mieux, deux demi-journée) ce font uniquement en centres de sélection. Pour plus d'information sur l'histoire de la conscription, je vous invite à vous rendre sur le site L'Histoire par l'image où l'on trouve des notes synthétiques sur de nombreux sujets de l'histoire de France, avec une démarche pédagogique pertinente. L'historien Ivan JABLONKA a rédigé la page sur la conscription au XIXe siècle. Bonne lecture.

Nous sommes en 1955. Le conseil de révision doit déterminer quels jeunes, dans la classe d'âge (ici 1956, soit 20 ans après la naissance), sont "bons pour le service". Cela se déroulait le plus souvent dans des locaux municipaux du chef lieu de canton : mairie, salle des fêtes, ou, ici, dans le cas de mon père, l'Athénée municipal de Bordeaux.

Situé rue des Trois Conils, au 53, l'Athénée  fut construit en 1890 ; il comprenait de nombreuses salles et un amphithéâtre. Assez vétuste après la Seconde Guerre mondiale, des travaux sont réalisés (début 1950 puis 1963). Il est désaffecté en 1973 et la restructuration du quartier Saint-Christoly peut commencer (en théorie ; en pratique, de nombreux projets sont rejetés et ce n'est qu'au milieu des années 1980 que les travaux s'achèvent). Mais je digresse... Revenons au conseil de révision.

Le Conseil de révision était composé de civils (Préfet, conseiller ou secrétaire de préfecture, un conseiller général, un maire ou un élu du canton) et de militaires (un officier supérieur, un sous-intendant, le commandant du dépôt de recrutement, un médecin et des gendarmes comme assesseurs).  

Mon père ne connaissait aucun des jeunes garçons convoqués au conseil de révision. Il n'était pas à Talence, son lieu d'habitation, depuis très longtemps. Je ne sais pas devant quel bâtiment le groupe de futurs conscrits pose sur la photo du haut. Sur la photo du bas, ils sont devant le monument aux morts de la guerre de 1870, statue de bronze réalisée par Jean-George ACHARD et achevée en 1913. Cette statue est située place de la République, place qui accueille également l'hôpital Saint-André et le Palais de justice.

En médaillon, mon père.


C'est au cours de ce conseil que mon père demande une affectation dans le corps des parachutistes. Pas très informé des événements d'actualité, il pense surtout pouvoir être affecté dans une colonie pour voyager un peu avec une préférence pour Madagascar où avait été affecté son cousin Clovis LAPÉBIE, militaire de carrière, frère aîné des coureurs cyclistes Roger et Guy, qu'il rencontrait de temps en temps. Mais pour lui, ce sera la guerre d'Algérie, qui ne porte à l'époque que le nom d'"opérations de maintien de l'ordre".

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Le mot de Clio sur la Guerre d'Algérie (1956-1962)                                                                                                                                                                                                            Je ne vais pas faire ici l'histoire du conflit mais expliquer rapidement pourquoi mon père se retrouve dans ce territoire d'Afrique du Nord. Les livres traitant du conflit sont très nombreux. Je conseillerais éventuellement ceux qui veulent juste avoir des notions de bases, précises et solides, le très bon petit livre de Guy PERVILLÉ et Cécile MARIN, Atlas de la Guerre d'Algérie : de la conquête à l'indépendance, édition Autrement, 2011.                                                                                                                                                             La conquête. L'Algérie est une colonie française dont la conquête a débuté en 1830 avec le débarquement d'une armée près d'Alger pour s'achever en 1934 dans le Sahara, dans une logique de progression Nord-Sud. Dès le début, l'Algérie devient une colonie de peuplement avec une installation importante de colons (les autres colonies françaises sont des colonies d'exploitation avec une présence peu nombreuses de colons).                                                                                                                                                                    L'Algérie en 1954. L'Algérie compte à cette date environ 9 millions de ce qu'on appelle les Musulmans, c'est-à-dire la population indigène, qui ne sont pas citoyens mais "sujets français" (ils avaient les devoirs d'un citoyen mais pas les droits) et 1 million de non-musulmans, les Européens, citoyens français, essentiellement les colons ou descendants de colons européens surnommés les Pieds-noirs (expression dont l'origine est difficile à déterminer exactement, les hypothèses étant nombreuses). Les inégalités sociales, économiques, juridiques sont importantes dans les trois départements d'Oran, d'Alger et de Constantine, entre Musulmans et Européens. L'insurrection éclate le 1er novembre 1954. Ce n'est pas la première ; la précédente, en mai 1945, avait été sévèrement réprimée.  

Les trois départements algériens

Source : Sylvie THÉNAUD, "1881-1918 : l'« apogée » de l'Algérie française et les débuts de l'Algérie algérienne", Histoire de l'Algérie à la période coloniale, 2014.

La Guerre d'Algérie, 1954-1962                                                                                                                                     De 1954 à 1956.                                                                                                                                                                  Les "événements d'Algérie" éclate donc à la fin de l'année 1954. Lors des premiers mois, la guerre se limite à des attentats et c'est surtout dans le Nord-Constantinois que le FLN (Front de libération nationale) est actif. Les choses évoluent en août 1955 avec les massacres du Constantinois. Dans la zone de Philippeville, plus d'une centaine d'Européens et une centaine de Musulmans favorables à la présence française sont massacrés. La répression française, démesurée, fait plusieurs milliers de morts, essentiellement des civils. C'est à ce moment que l'on passe de l'insurrection à la guerre. En 1956, le socialiste Guy MOLLET devient chef du gouvernement. Favorable au départ à une paix négociée, il va paradoxalement se lancer dans une politique répressive et donner des pouvoirs spéciaux très étendus à l'armée. Pour augmenter les effectifs militaires (essentiellement des militaires de carrière jusque là), il décide d'envoyer des soldats du contingent en Algérie... Et c'est comme ça que mon père, Pierre LARRETGÈRE, à l'âge de 20 ans, se retrouve envoyé en Algérie, dans le Constantinois, à Philippeville...

Mon père, à droite sur la photo. Nous sommes en 1956 pendant la période "des classes".